Moi j’aime bien Hardy, mais je préfère Laurel, il est plus fiable.

Conseil du jour : ce texte fait référence à la période 2002-2006 de l’émission Les Matins de France-Culture.

C’est Laurel le plus fiable. Le jeudi à 8 heures moins dix pétantes, il attaque. Les autres jours aussi, je suppose. La mécanique est alors lancée : terminer de boire tranquillement le café, nettoyer la table, le lave-vaisselle sur on, un peu de lest dans le cartable, et hop dans la voiture. Eh ben, j’étais toujours en retard, même l’inspecteur académique me l’avait confié lors de sa visite décennale, c’est bien, un professionnel non, on apprécie au rectorat, et vous avez un certain sens pédagogique, mais vous passez pour ne pas être d’une ponctualité absolue.
J’avais d’abord incriminé les travaux sur le pont, puis les travaux à l’entrée de l’autoroute, puis les dégâts de la tempête, enfin le crétin qui s’arrête au feu orange juste devant moi. Toujours dix minutes de retard. La conclusion s’était finalement imposée, après sept ans de retard et autant d’essais d’itinéraire différents : le bahut, c’est 40 minutes. C’était simple, il me fallait donc partir à 8h20. Moins trois minutes pour sortir les poubelles, vérifier que la machine à café est éteinte, la vaisselle bien en cours, ça faisait les pieds dans les starting-blocs à 8h17.
Et là, j’ai découvert Hardy.

8h17, c’est son heure. Dès qu’il commençait, j’éteignais la radio, le cartable et hop dans la bagnole. Mais y a un problème : le type, il est pas fiable. On l’attend, il vient d’arriver, il est presque là, un peu en retard, il doit être dans les couloirs, il est dans le hub de Roissy et le portable ne passe pas, il a la tête lourde, la langue pâteuse, un peu de crème est tombée sur sa veste, sa batterie est morte, … Inutilisable. On sent quand même que la qualité du service public se dégrade. Il va falloir que j’essaie le privé. Je suis sûr qu’Europe 1 ou RMC, ils sont à l’heure. En plus, sur Europe 1 y a Canteloup, du coup on peut même écouter, c’est vrai que dans radio-réveil, y a aussi radio. Coup double ! Mais ne soyons pas excessif, le gaillard a des qualités, il réhabilite, voyez les vertus du service public, un mot qu’on pensait disparu : cuistre. Suffit d’être dans le coin, au petit matin, même pas vif, ça tombe tout seul, c’est pas de la chasse au canard, c’est du ball-trap : ce retard d’une minute « qui va priver l’auditeur de la complexité de mes analyses », “je sais bien que nos auditeurs sont fascinés par ces chroniques et qu’ils les retiennent par coeur (rire)”, ce livre “dont je conseille la lecture alors qu’il n’a pas le même éditeur que moi”, “je reste fidèle au communisme, à Bush, à Chirac, c’est ce qui fait mon charme” , cette question est importante “parce que je me la pose, donc c’est déjà une garantie de qualité”. Le top : “Ce n’est pas du temps de Saddam Husseim qu’on avait cette liberté d’expression, même si exprimer son opinion nécessite de prendre des risques. Alors moi aussi je vais prendre des risques”, et une anthropologie des traders pour finir : « Regardez a… la…, sur quoi ils sont sélectionnés : la jeunesse, car il faut des nerfs d’acier et il faut beaucoup de de d’engagement physique, c’est un peu comme chez nous, on se lève tôt et on se couche tard » ‘Scusez du peu.

Ah, si, il y a son morceau de gloire, Chavez, prononcez tchavèss. Il est à Hardy ce que papi mouso fut à Coluche, paix à son âme. Oh oui, Oliver, fais-nous Chavez encore une fois ! Bon, à la demande générale : “Chavez, qui n’a rien d’un démocrate” - on peut leur filer machin, s’ils veulent - un démagogue, un tyran qui utilise à mauvais escient l’argent pour acheter le peuple en soumettant à des prélèvement obligatoires insensés les entrepreneurs, etc. Ts, pas ici qu’on aurait ces pratiques insensées. Notez que je ne défends pas particulièrement Chavez, un type qui habite à des milliers de kilomètres et dont je ne sais pas grand chose, ça ne serait pas sérieux. (note janvier 2011 : et le gaillard n’avait pas encore fait passer la loi lui donnant les pleins pouvoirs durant 18 mois, ok.) Et on a assez à faire ici. Hein, qu’est-ce qu’on a à faire ici ? Ah…
Ok, j’arrête là, je commence à perdre mon temps, et vous aussi, c’est pas bien de se moquer, mais tant de suffisance de la part d’un de nos employés pour éructer de telles bêtises. Bon, allez, le reste de la troupe et après j’y vais, je vais encore être à la bourre.
Laurel, c’est fait, ponctualité et ponctualité sont les deux mamelles de la chronique. Marvetz, rien à dire, mais y aurait peut-être un poste d’économie possible, il sert à rien, à neuf heures moins cinq les jeux sont faits depuis longtemps, le plus souvent je suis à fond sur ce quai Anatole France qui n’en finit pas, l’œil rivé au feu du pont. Je passe, chuis dans les temps, je chope le rouge c’est foutu. Alors le sri-lankais à qui on a arraché les ongles parce qu’il n’avait pas applaudi au passage du président, hein. Il n’y a qu’une fois où j’aurai aimé entendre sa voix, c’est quand ils ont viré Benassayag. M’enfin, on ne peut pas recevoir toute la misère du monde.
Non, je n’oublie pas Béchamel, arrêtez-moi si je me trompe. Au début, quand son arrivée a a été annoncée, je m’attendais à un chroniqueur talentueux, on est bête quand on sait pas. Bon, je sais, j’aurai dû me méfier, le type enseigne à Sciences Po, c’est le genre de truc que tu n’as pas par hasard, c’est comme la Légion d’Honneur, l’Académie Française ou la chaude-pisse, il y a toujours une solide raison à ça, mais il a bénéficié du doute. Quand j’ai réalisé mon erreur, j’ai essayé de comprendre son job, mais j’ai eu du mal. Je crois qu’il commente les photos parues dans Gala. C’est intéressant mais c’est parfois difficile à suivre, à la radio on n’a pas l’image.
Hein ? Non, je n’oublie pas “amis de l’économie bonjour”, rien qu’à cette apostrophe on sait qu’on aura un grand moment de cette ironie mordante et subtile qui fait le sel de la pensée française. Une fois, je l’ai entendu, mon fils a failli rater le bus ce jour-là, il a dit “le PIB de la Chine a augmenté de 12 %, la mondialisation ça marche.” Un raisonnement de ce genre, c’est du très haut de gamme. Mais habituellement, il fait plus simple, genre “Je vais pour une fois encore plomber l’ambiance.” Si, relisez, c’est d’enfer. Un sens de la rhétorique qui renvoie Aristote dans son bac à sable. Hiroshima à côté c’était un répulsif à usage domestique, normalement là un cerveau encore en état de marche explose. Je vois que les Grosses Têtes pour le menacer en finale. Hein? Ah non, ce n’est pas un sophiste. Les sophistes savaient séduire. Oui, oui, et ils maitrisaient aussi les règles élémentaires de l’argumentation, oh, c’est qui qui écrit, ici ?
Hein, et le maitre des lieux1 ? Ah. (long silence). Non, je ne l’oublie pas. … Quand je serai vieux (oui, bon, ça va, ça va), j’écrirai un traité sur la sagesse suprême, le tao et le grand vide. Je me le réserve pour ce moment-là. Seigneur, faites que je ne devienne jamais vieux.


1Note de décryptage à l’usage des jeunes générations.
le maitre des lieux, après un passage incongru par une radio privée, a relevé avec brio ce défi que l’on pensait irrelevable : succéder à July à la tête de Libération. On sait les qualités de celui qui demeure une référence majeure en matière de journalisme à la française, et l’incroyable est pourtant arrivé, l’irremplaçable a trouvé un remplaçant.